Un monde nouveau où le Co est roi

Publié le 10 août 2012
5 min

Cet article a déjà été publié  dans ces colonnes le 22 mai dernier. Il s’agît donc d’une rediffusion de vacances…

J’ai été intéressé par un article de Eric Scherer intitulé « Transfert de pouvoir », qui débute sur cette phrase :  Les Mayas avaient donc raison ! 2012 marque la fin d’un cycle et la disparition progressive d’un monde. Car« le basculement de pouvoirs le plus important à l’œuvre actuellement ne se passe pas entre l’Occident et l’Asie, les Etats-Unis et la Chine, le Nord et le Sud, la Droite et la Gauche, mais entre les institutions et les individus, grâce au numérique». Ces derniers mots sont d’un conseiller d’Hillary Clinton, et datent de début 2012.

Eric Scherer, dans cet article, fait le constat suivant : avec Internet, les gens sont en train de (re)gagner du pouvoir  de reprendre du contrôle sur leurs vies, de s’organiser eux-mêmes, entre eux, en réseaux.

Et de souligner comment les mouvements de coproduction fleurissent : De très nombreux business se créent ainsi à partir de la mise à disposition et du partage de capacités non-utilisées (co-location, co-voiturage, co-working, co-production, co-création …). Se connecter, créer, contribuer et partager sont les maîtres mots d’une nouvelle époque, d’une toute nouvelle génération dont le goût marqué pour le collectif semble prendre le pas sur l’individualisme des précédentes. Et de titrer « co is king ! »

 Le « co » dans le tourisme

Nous ne sommes pas vraiment en reste dans le monde du « co » : c’est avec le numérique que s’est développé ce tourisme participatif dans lequel les gens échangent des services, coconstruisent des vacances : du co-canapé, avec couchsurfing, de la co-location avec l’échange de maisons, de la co-visite avec les greeters, du co-renseignement sur les forums de voyage, de la co-édition sur les blogs de voyage, de la co-photo ou de la co-vidéo sur Facebook, Youtube ou Panoramio, de la co-cartographie sur google map maker ou openstreetmap, de la co-information touristique sur wikipedia ou sur wikitravel.  Et bien sur du co-jugement sur les nombreux sites d’avis…

Comment cet essor du « co » impacte les métiers traditionnels des offices de tourisme ou organismes institutionnels de tourisme, qui sont spécialisés dans l’information ?

Prenons deux exemples de co-renseignement : www.voyageforum.com compte près de 900 000 membres ! Cette communauté francophone a un forum qui contient 3,8 millions de messages répartis dans 381 000 discussions sur tous les thèmes en lien avec les voyages. Toutes les régions de France sont concernées. Certes, les discussions les plus animées concernent des itinéraires de randonnée, mais il y a un réel impact sur un métier traditionnellement dévolu aux offices de tourisme uniquement.

Prenez, plus classiquement, le forum du guide du routard : en soirée, un message est posté chaque minute. Des habitants des territoires interrogés se mettent à la disposition des visiteurs pour répondre à leurs questions…

 

Ces dernières années, le nombre de sites dédiés à cette coproduction autour du voyage est impressionnant comme le montre l’excellent panorama des sites communautaires de voyageurs mis à jour chaque année par Stéphanie dans ce blog. Certes, tous ces sites ne sont pas de niveau égal, mais des parcours, balades, idées de séjour sont souvent détaillés et bien renseignés, notamment pour les clientèles internationales. J’ai relevé ces deux exemples dans ma région de l’Entre-deux-Mers en Gironde, sur Virtual Tourist avec un beau guide de voyage sur la bastide de Monségur, ou ce tour des vignobles de Bordeaux sur Everytrail.com (qui va aujourd’hui bien au-delà de la randonnée).

 

 

Je note enfin que le règne du « co » ne se limite pas aux touristes. A l’intérieur même de nos réseaux professionnels, ce sont maintenant les membres qui co-produisent des réponses aux questions des adhérents : les groupes Facebook sont depuis quelques mois extrêmement actifs, là où intervenait avant une Union départementale ou une Fédération Régionale d’Offices de Tourisme. L’exemple du groupe des Animateurs Numériques de Territoire (480 membres, une dizaine de discussions quotidiennes, des astuces et de la co-réponse aux questions). Des groupes qui fonctionnent quasiment sans animation, avec un petit nombre de contributeurs, et beaucoup de lecteurs consommateurs. Cette proportion entre le militant du « co » et le consommateur passif est d’ailleurs toujours identique, de l’ordre de 1 à 10.

 

Comment tirer parti du « co » ?

Cet essor du « co » peut nous déstabiliser. Aussi bien l’animateur de l’UDTSI qui basait la mesure de sa performance sur le « nombre de questions traitées », que l’office de tourisme qui affiche le nombre de mails reçus ou de contacts guichets !

On peut par contre se dire que le « co » est une chance, ne serait-ce parce que des gens font une partie de votre travail sans rien demander en échange !

Il faut donc savoir profiter de l’effort effectué par vos co-producteurs. Il faut sans doute aussi participer à cette coproduction dans les lieux les plus opportuns où elle se déroule.

Et, pour ce qui est de l’organisme de gestion de la destination (OGD, ou DMO, en anglais), il faut prendre toute sa place, en apportant à ces « co » deux facteurs de plus-value : l’officialité et la connaissance parfaite du territoire.

L’officialité, parce que l’office de tourisme, le CDT sera toujours le représentant officiel de l’activité touristique, ce qui rassurera l’ensemble de la communauté. La connaissance parce que la proximité du terrain permet évidemment des réponses plus élaborées.

 

Voici cinq conseils pour tirer le meilleur de la co-production numérique touristique

1 –  identifier les principaux lieux de co production qui parlent de son territoire

Il faut donc faire de la veille. Le panorama des sites communautaires est un bon départ pour observer sur quels sites communautaires, blogs de voyage, forums, est le plus traitée sa destination. Une analyse des flux d’entrée sur votre site est aussi intéressante : pour certains territoires, l’impact de Wikipedia est essentiel. Il faut ensuite se concentrer sur ce qui est le plus important, et surtout,  ne pas partir tout azimut.

2 – accepter de discuter avec les co-producteurs sur leurs espaces propres.

Beaucoup d’initiatives de forum sur les sites de destination ont été un échec. Tout simplement parce que les « co » échangent, produisent dans des espaces qui leur ressemblent ou qui ressemblent à leur passion, leur communauté, tout simplement.

3 – valoriser les coproducteurs

Chaque fois que l’on propose à un photographe amateur d’utiliser sa prise de vue, à un blogueur de reprendre son article, ce coproducteur est valorisé. Il sera encore plus en désir de promotion de votre territoire

4 – apporter du contenu

L’office de tourisme peut passer du temps à améliorer le contenu des co-productions sur les forums ou blogs de voyage, du moment qu’ils sont pertinents pour la destination (cf. point 1). C’est du temps de travail d’accueil numérique à intégrer dans sa stratégie

5 – rester dans son rôle officiel d’organisme local de tourisme

S’inscrire dans une communauté en tant qu’organisme local de tourisme, identifier la provenance de ces informations, renvoyer sur le site officiel de l’office de tourisme, sont autant de manière de rester dans son rôle d’organisme public et de rassurer ainsi la communauté de co-producteurs.

 

Avez-vous des expèriences réussies d’intégration dans le monde du « co »? Merci pour vos retours.

 

 

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Jean Luc Boulin est consultant en tourisme : Intervention auprès des élus et des prestataires touristiques, coaching, accompagnement des équipes et des directions sont ses principaux champs d'intervention. Avec deux exigences : se mettre à la place du client et oser l'innovation. Directeur de l’office de tourisme de l’Entre-deux-Mers (Gironde) et du pays d’accueil touristique du même nom pendant plus de dix ans, Jean Luc Boulin a dirigé la MONA [...]
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