Une expo qui décentre le regard

Publié le 24 mai 2024
4 min

C’est au détour d’un périple au Mont Saint Michel que j’ai découvert au Centre d’Informations Touristiques une exposition qui a piqué ma curiosité. Cette exposition présentait « une tapisserie témoignage » dont l’objectif est de « révéler l’identité d’un territoire à risque, en l’occurrence ici La Baie du Mont Saint Michel, sous un angle artistique vue du ciel » comme l’explique son designer Dorian Etienne.

la tapisserie-témoignage de la Baie du Mont Saint Michel

Mais en réalité, c’est cette guirlande (en photo ci-dessous) d’au moins 4 ou 5 mètres où étaient accrochés des morceaux de tissus de différentes couleurs qui a attiré mon regard et m’a donné envie de découvrir cette exposition.

Un morceau de la fameuse guirlande

SON CONTENU

Au delà de l’ingéniosité d’avoir réussi à détourner la fonction première d’une tapisserie servant ici de support à des données topographiques, dont on n’aurait probablement pas pris le temps de regarder ou qui ne nous aurait pas touchés de cette façon, c’est une immersion dans le territoire que le visiteur va vivre. On découvre que le lin, ayant servi à fabriquer la toile de la tapisserie, est une production locale dont on a retrouvé les traces dans la région depuis le Néolithique. On fait le lien également entre les moutons que l’on peut apercevoir autour de la baie et les pelotes de laine qui ont été utilisées pour le tissage de la tapisserie.

L’exposition réussit même l’exploit de nous donner envie de découvrir la teinture végétale et de faire quelques décoctions de plantes dans des marmites pour trouver nous aussi les couleurs les plus justes pour traduire les paysages qui nous entourent. On se retrouve même avec une irrépressible envie de se mettre au touffetage pour réaliser sa propre tapisserie. (Pour ceux, qui comme moi découvrent le touffetage, il s’agit de capturer la laine dans la toile de lin de la tapisserie grâce à un pistolet électrique).

Cette tapisserie née dans le regard du designer-voyageur Dorian Etienne, est avant tout une œuvre collective. Ce sont en effet des habitants qui ont été invités à prendre leur place dans cette création, en apprenant notamment les techniques utilisées (du touffetage et de la teinture). Ce sont au total 24 habitants qui ont participé à cette réalisation.

C’est aussi une œuvre qui s’inscrit dans la durée car l’intention est de la refaire dans 10 ans pour constater visuellement ce qui, face aux enjeux environnementaux et sociétaux, aura évolué. Elle fait également partie d’un projet plus vaste Pays’Age, pour lequel d’autres tapisseries témoignages ont été réalisées pour d’autres territoires

Sa PRESENTATION

D’un point de vue pratique, le contenu est habilement présenté avec un bel équilibre entre des explications pédagogiques à lire sur les matériaux locaux utilisés, des échantillons de tissus montrant les expérimentations réalisées pour la recherche des coloris, et des vidéos à regarder pour voir les coulisses du projet avec notamment une timelaps (voir en fin d’article).

Cette exposition offre la liberté au visiteur de la découvrir dans l’ordre qu’il le souhaite. Il peut prendre ce qu’il a à prendre sans se sentir coupable de ne pas avoir tout vu. On ressent aussi beaucoup de lenteur dans toutes les étapes du projet : de la cueillette des plantes au temps nécessaire pour capter les nuances de vert des paysages observés, en passant par la recherche de la couleur juste pour les teintures et l’apprentissage nécessaire des gestes pour le touffetage. Et cela fait du bien !

Enfin, une place de choix dans l’exposition est occupée par de beaux et grands portraits, avec un descriptif soigné de chaque personne ayant participé à la création de cette tapisserie. Il y a eu probablement des embuches dans le déroulé du projet, qu’on aurait peut-être aussi aimé pouvoir voir en tant que visiteur mais c’est de la fierté et de la joie qu’on peut lire dans le regard des participants.

Extrait de portraits des habitants engagés

DECENTRER LE REGARD DU VISITEUR

Cette exposition qui parle de lin, de lenteur, d’espaces, de nature, de touffetage, de teinture et d’habitants offre aux visiteurs une image du Mont Saint Michel et de la Baie, qui est loin de l’imaginaire classique. C’est comme si, on s’autorisait à raconter ce lieu d’une autre façon. C’est comme si, on montrait une image en apparence moins étincelante de la Baie mais qui touchait la sensibilité du visiteur et permettait de remette un peu d’humanité dans cette histoire. Donner à voir une histoire à laquelle le visiteur ne s’attend pas, laisse une trace qui n’a pas à rougir d’être moins bien que la jolie carte postale du rocher et de la baie.

En tant que destination touristique, cela nous interroge sur l’imaginaire que nous souhaitons montrer de nos territoires ? De quel imaginaire héritons-nous ? Et quel imaginaire décentrant le regard, pouvons-nous offrir aux voyageurs ?

En savoir un peu plus :

Timelaps – Pays’Âge de la Baie du Mont Saint Michel

Mes sources pour écrire cet article :

. Une visite au centre d’informations touristiques du Mont Saint Michel en ce début du mois de mai

. le site web du designer Dorian Etienne pour mieux comprendre son univers et les autres projets Pays’Âge

. L’émission de la Terre au Carré sur le voyage est-il à déconstruire ?

. Et une conversation très éclairante avec mon ex-collègue Céline sur ses ressentis concernant cette exposition

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Experte en approches humaines innovantes, j'accompagne les destinations touristiques à engager leurs équipes sur les sujets qui leur tiennent à cœur. J'utilise la facilitation en intelligence collective pour accompagner ces projets et ces conduites de changement. J'étais, jusqu'en avril 2019, Directrice de l’Office de Tourisme du Pays d’Ancenis -Val de Loire, où j’avais notamment en charge les missions traditionnelles concernant le management d’équipe, les stratégies de communication, l'ingénierie de projet, [...]
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