Cyber-entretien(*) avec Jan Chan-Wook, chercheur en etourisme à Séoul, Corée du Sud
Bonjour. Vous venez de publier un article qui a fait sensation dans la presse touristique coréenne car vous remettez en cause de nombreuses pratiques numériques actuelles. Quelles étaient vos intentions en prenant ainsi le contre-pied ?
Nous sommes à l’âge de pierre du numérique. Nous utilisons ces nouveaux outils avec un manque de dextérité impressionnant. Ce qui est normal, d’une certaine manière, car il nous faut apprendre et faire des erreurs avant d’avoir une pratique fine et pertinente. Ce que je trouve consternant néanmoins ce sont les sommes colossales englouties dans des projets pharaoniques qui démontrent un manque de lucidité certain.
Vous avez des exemples ?
Actuellement par exemple c’est à celui qui investira le plus dans des applications pour mobiles. Chacun lance la sienne, chaque ville, chaque région, chaque institution. Et comme tout le monde débute en la matière, les clients comme les prestataires, le résultat n’est pas toujours très convaincant. Ce que je proposerais, en cette époque d’apprentissage, ce serait de mutualiser les investissements logiciels, de co-produire des applications et de se différencier sur les contenus. La pensée serait ainsi considérablement enrichie, les coûts divisés et la personnalité de chacun épargnée.
Vous portez également un regard critique sur les sites de vente en ligne .
En effet nous sommes passés en très peu de temps de l’agence conseil, qui avec du recul , faisait plutôt bien son travail, au site qui mise surtout sur le prix le plus bas possible. D’où un consommateur de plus en plus seul, de plus en plus perplexe, qui finit par se perdre dans cette nouvelle jungle numérique. Le numérique ne veut pas dire disparition de l’interaction à visage humain en temps réel. Les sites qui intègrent dans leur page d’accueil un chat texte ou, encore mieux, un chat vidéo ouvert à certaines heures, rencontrent un vif succès car ils recréent un lien humain. Ils faut à tout prix remettre des gens derrière les pages sinon tout va être tiré vers le bas. Le tourisme mérite mieux que du hard-discount robotisé.
De même vous émettez des réserves sur la course à l’audience systématique.
Ce qui est surprenant dans beaucoup de sites, c’est de voir à quel point ils visent plus le nombre de visiteurs que le taux de concrétisation. C’est la course au trafic alors que l’on pourrait améliorer les résultats en y mettant plus de créativité et surtout en testant plus d’idées. Quand on lançait une campagne d’affichage ou de télé on était obligé de tout réfléchir avant.Après c’était trop tard pour modifier quoique ce soit ! A l’ère du numérique on peut, tout au contraire, tester de nombreuses solutions sur de petits échantillons et constamment se remettre en cause. Que ce soit pour des emailing ou pour des sites on devrait plus jouer la confrontation et le test de bonnes idées que la recherche de l’idée géniale «unique». Le public actuel est de plus en plus imprévisible et la notion de test est devenue cruciale. La meilleure idée est celle qui plait au public à l’instant T, et non celle qui plait au décideur ou au créatif.
Vous avez aussi pas mal remis en cause l’usage actuel des QR codes .
Les QR codes sont souvent utilisés pour amener les utilisateurs de mobiles vers des sites. Ce qui est une hérésie. Les QR codes devraient amener vers des objets numériques tels que des vidéos, des questionnaires, des plans, des diaporamas. Le smartphone est formidable pour visualiser ce type de contenus alors qu’il l’est beaucoup moins pour naviguer au sein d’un site. A l’heure du QR code, le site c’est le monde réel, les documents, les panneaux, les affiches, et les liens à cliquer sont les QR codes. D’autre part il serait bon de faire plus de pédagogie pour expliquer ces nouveaux outils aux utilisateurs car beaucoup n’ont pas encore compris l’intérêt des ces étranges hiéroglyphes numériques.
Vous vous étonnez également de la vision à court terme du eTourisme.
En effet, on met des moyens considérables pour attirer des touristes vers les sites et les faire cliquer jusqu’à l’acte d’achat et après on ne s’en occupe pratiquement plus. Les serveurs envoient la confirmation automatique et convenue dans le centième de seconde qui suit et après c’est le grand silence. Or c’est à ce moment là que le client commence à douter et à se poser beaucoup de questions. On gagnerait à renforcer la relation par tous les moyens. On peut lui proposer des idées, lui faire découvrir des sites thématiques pour préparer son séjour, l’abonner à des parcours de découverte par emailing, l’inviter dans des réseaux sociaux dédiés, et même lui offrir des cadeaux numériques comme des livres, guides, albums photos, etc. En gros on peut l’aider à se préparer au lieu de laisser le silence s’installer. On a tout à y gagner pour un cout marginal vraiment modique.
Dernier point, vous avancez l’idée de vacances «numériques». Vous pouvez nous expliquer ce concept.
De même que l’on s’occupe peu des visiteurs entre le clic d’achat et la date d’arrivée, on a tendance à vite les oublier dès la fin de leur séjour. Or un visiteur moyen ne perçoit qu’une partie très infime du potentiel touristique de la zone visitée. D’où l’idée de continuer à cheminer à leurs coté au fil des mois qui suivent leur venue. Avec leur accord, nous les abonnons à des envois numériques réguliers, cartes postales, livrets, diaporamas, clips vidéos, qui vont leur donner d’autres aperçus et d’autres angles. Des «vacances numériques» qui maintiennent un lien entre eux et nous. En fin de séjour un client redevient un prospect et il est important de s’en occuper car il est à la fois quelqu’un qui peut revenir mais surtout quelqu’un qui peut promouvoir nos destinations dans ses communautés numériques. Le plus gros média ce sont nos clients et les réseaux sociaux dont ils sont les propriétaires et les animateurs. Ils tiennent les clés de notre renommée et de nos futurs clients,et en plus c’est gratuit. Il suffit de nourrir et d’entretenir la relation, à l’aide des formidables outils numériques que nous avons sous la main. Ce serait dommage de s’en priver !
Merci
(*) cyber-entretien : entretien qui aurait très bien pu être réel et qui ne recourt qu’à des technologies à notre disposition 😉