Les dernières Francophonies de l’innovation touristique ont eu lieu à Nice sur le thème des « transformations humaines du tourisme ». Pendant quatre jours, une trentaine de personnalités expertes en tourisme venues de Belgique, du Canada, de France et de Suisse ont partagé un certain nombre d’expériences issues de leurs activités dans des établissements hôteliers, des organismes territoriaux ou à travers leurs missions de conseils. Elles ont débattu, argumenté et proposé idées et concepts. Lors d’une conférence finale, les travaux ont été exposés et serviront de base à des publications et des participations à des évènements francophones dédiés au vaste sujet des ressources humaines dans le secteur. Avec une place toute particulière réservée aux OGD dans les propositions formulées.
La raison d’être, la base de toute stratégie et de tout engagement
La profonde mutation des rapports au travail est en réalité une révolution majeure, sans doute aussi importante que celle du numérique et digitale. Mais la question dans le fond n’est pas si récente. De nombreux experts ont évoqué des exemples de crise des recrutements vieux de trente ou quarante ans, comme celui observé à Chamonix dans les années 1980. Le sujet n’a jamais été abordé avec autant d’acuité qu’aujourd’hui car des solutions, même bancales, ont toujours été trouvées. Des solutions de bric et de broc, en somme. Aucune réponse structurelle n’a été apportée. Un pas de côté est nécessaire pour aborder objectivement la quête de sens à laquelle chaque territoire, chaque entreprise mais aussi chaque collaborateur est confronté. Cette quête souligne d’autant mieux la défiance que la culture francophone, et notamment française, manifeste à l’égard des métiers de l’hospitalité. Un manque de noblesse soulignée dans le fameux article « Le mythe du laquais » publié il y a déjà une dizaine d’années par Julien Barnu. Et qui n’a guère évolué, malgré les nombreuses initiatives prises pour revaloriser les métiers.
Le « capital humain » constitue bel et bien une ressource trop longtemps ignorée. Pour le renforcer, un triple parcours est proposé, à la fois « parcours collaborateur », « parcours entreprise » et « parcours territoire ». L’étape préalable de ce parcours, ou « étape 0 », base pour le reste du parcours, traite des transformations et pose les bases pour l’ensemble des étapes et actions à suivre. C’est au cours de cette étape qu’il faut établir la raison d’être, l’identité d’un territoire ou d’une entreprise, la cohérence afin que les valeurs partagées émanent d’une vision collective. La mise en œuvre visera non seulement une transformation du modèle territorial, mais encore des transformations des modèles d’affaires et managériaux. Ainsi les secteurs publics et privés s’engagent dans une démarche collective qui vise la réalisation d’actions communes en termes de formation, recrutement et fidélisation.
Les valeurs sont importantes car elles permettent d’élaborer une stratégie et d’y associer l’ensemble des collaborateurs. La raison d’être induit un cap et une stratégie dont le cœur doit être animé par le « capital humain ». Ce dernier doit impulser, donner vie et irriguer l’ensemble de l’organisme. L’hospitalité, l’accueil et la fierté d’appartenance en sont des facteurs essentiels pour façonner les salariés en « communauté ». La question de la mise en œuvre de cette étape est aujourd’hui sans doute défaillante dans de nombreux cas d’entreprises touristiques. Et des idées préconçues méritent d’être débattues. Par exemple, au vu de la brièveté des engagements, la fidélisation d’un salarié constitue-t-elle encore un objectif en soi ? Cette question ne doit pas exclure même pour le temps d’une saison la qualité de l’engagement des parties, l’accompagnement sur-mesure des collaborateurs, la fédération des collaborateurs autour d’un projet collectif. Des exemples sont choisis pour étayer la démonstration : Décathlon, Fogo Island Inn et la Vallée de la Bruche.
Inspiration et accueillance, les deux étapes clés de la construction d’une relation confiante
L’inspiration est l’étape 1 du parcours. Elle consiste à identifier les ressorts pour susciter l’envie, on oserait même parler de « désir », de travailler dans une entreprise, une organisation ou une destination touristique. Mais elle est également induite par l’idée que chaque candidat doit être capable de démontrer ses compétences, son savoir-être. Pour cette recherche croisée entre employeurs et employés, il est ainsi proposé aux entreprises de travailler sur leur présentation, sur les valeurs qu’elle défend et incarne, sur ses promesses et ses engagements. Trop souvent délaissée, cette étape est cruciale et doit être fondée sur des communications ciblées, pourquoi décalées, qui donnent envie. Il faut changer les discours, les façons souvent rébarbatives qu’ont les professionnels de parler d’eux-mêmes, adopter un des éléments sonnant à la juste et véritable. Pour s’adresser aux potentiels employés et recruter les talents souhaités, les employés en poste peuvent décrire l’ambiance au sein de l’entreprise à la seule condition qu’elle soit bonne, évoquer les avantages induits, etc. Les organisations doivent par exemple penser rédiger leurs CV, autour de plusieurs points (picth, valeurs, promesse, pourquoi nous rejoindre, références). Le rôle des OGD peut être central dans cette stratégie, en déclinant la marque de destination en marque employeur, à la fois pour mobiliser la population et les acteurs locaux, attirer de potentiels collaborateurs, mettre en relation ces derniers avec les entreprises à travers eductours ou workshops. C’est ce que Quimper, en Cornouaille, a commencé à faire avec succès. Le Mama Shelter est souvent cité comme un excellent exemple. La présentation de l’hôtel Lily of the Valley dans le Var par son directeur général Stéphane Personeni a convaincu les experts que cet établissement a parfaitement intégré les évolutions sociétales dans ses pratiques RH. La vidéo « marque employeur » « le DRH de Val d’Isère cherche de nouveaux collaborateurs. Ne le décevez pas, son engament pour la station est à la hauteur de sa passion ! » mise en ligne en octobre par la station de Val d’Isère est vite devenue virale et partagée.
L’accueillance est l’étape 2 du parcours. Le terme, que les spécialistes de marketing territorial connaissent bien, correspond ici à une version française de « l’onboarding ». Cette notion intègre les différents éléments à prendre en compte pour bien accueillir un nouveau collaborateur dans une organisation. Un moment porteur de sens et d’engagement. Le tourisme est par définition l’industrie de l’accueil, il est donc essentiel d’apprendre à accueillir dans les meilleures conditions possibles les nouvelles recrues. Le coût d’une mauvaise intégration se paie le plus souvent au prix fort, elle coûte en temps de recrutement, de formation et de renouvellement de la procédure. Afin d’optimiser l’accueil d’un nouveau collaborateur, il est nécessaire d’obtenir une meilleure cohésion entre les acteurs du territoire partageant les mêmes valeurs et de privilégier le contact humain. Le parcours du candidat doit être considéré comme un continuum d’accueil, autour de plusieurs étapes : attractivité (au moment de la considération), pré-accueil (celui de l’embauche), accueil (celui du premier jour) et intégration (dès la deuxième semaine). Ce continuum implique de travailler sur le sentiment d’accueil, la découverte, l’appartenance et l’autonomie. L’accueillance doit impliquer la destination en accompagnant les entreprises (mutualisation d’expertises, communautés de pratiques, etc.), en outillant les candidats et les nouveaux collaborateurs (rituels d’accueil collectifs, pack d’accueil aux candidats, séances d’acculturation etc.) mais aussi après l’arrivée des collaborateurs en mettant à disposition par exemple une conciergerie de destination (soutien d’installation, tournée de familiarisation, passeport d’intégration, etc.). L’accueillance doit être également la marque de chaque entreprise : avant le jour 1 en planifiant le parcours collaborateur, en présentant ce dernier à l’équipe, en immergeant le nouveau collaborateur dans l’expérience client proposée, en proposant des formations préalables en ligne.
Vivre le pendant, anticiper l’après
Les deux dernières étapes du parcours collaborateur répondent à celle que l’on connait bien dans le parcours du visiteur, « le pendant » et « l’après ». Le pendant, étape 3, caractérise le quotidien de l’activité au sein de chaque entreprise et de chaque destination. L’objectif de cette étape est assez simple dans la formulation, moins dans les faits, rendre heureux les collaborateurs. Les valeurs de la destination ou de l’entreprise, affirmées dans les étapes précédentes, vont nourrir les actions contribuant directement à l’épanouissement du collaborateur. On peut parler de promesse d’expérience professionnelle, autour de la notion de « travailler comme un local ». Cette étape du pendant, « rendre heureux » vise à créer et partager un sentiment d’appartenance et faire des collaborateurs, quels que soient leurs statuts, des ambassadeurs fidèles de l’entreprise ou du territoire. Les OGD peuvent trouver ici un nouvel axe d’interventions et de services, par exemple en mettant en place un baromètre du bonheur au sein des entreprises de la destination. Cet indice mesurera la satisfaction des collaborateurs, en analogie avec la mesure de la satisfaction client visée par nombre de prestataires touristiques depuis de longues années. « Travailler comme un local » implique que soient proposés des services spécifiques par l’entreprise ou l’OGD, portant sur l’animation de la communauté de collaborateurs (rencontre avec les habitants, découverte de la destination, etc.), mais aussi proposition de conciergerie de destination (habitat, santé, mobilité, famille) et de services à la carte (culture, sport, loisirs), d’accompagnement des employeurs et les managers sur leurs pratiques de ressources humaines (détection des signaux faibles, recensement des besoins non pourvus, conseil et assistance, etc.). Des initiatives francophones peuvent être montrées comme exemplaires, à l’image d’une plateforme collaborative pour mieux intégrer les saisonniers dans le Valais.
Et après ? Le fameux monde d’après tant esquissé durant la pandémie touche également le « parcours collaborateur ». Il constitue même sa dernière étape, afin de gérer au mieux les départs et les relations post-emploi. La formalisation du départ est nécessaire, que ce dernier voulu par le collaborateur ou l’entreprise. Cette étape est importante, mais elle est pour ainsi dire aujourd’hui au mieux négligée. Des entrevues de départ doivent être organisées, sur un modèle à inventer. Elles doivent servir à mieux comprendre et formaliser les réelles motivations de départs, avec objectivité. Des enseignements doivent en être tirés. Cette démarche doit être volontaire. Elle doit incarner un nouveau pouvoir de prescription, auprès des autres collaborateurs mais aussi des clients et transformer les anciens collaborateurs en ambassadeurs de la marque, entreprise ou destination. On peut d’ailleurs imaginer de ritualiser les échanges, en organisant des évènements entre anciens et actuels collaborateurs, dans l’esprit des réseaux d’alumnis des écoles. Nul doute que l’ensemble des ces démarches consolideront la marque employeur et auront un impact positif direct sur sa réputation.
Si vous êtes intéressé(e) par la méthodologie proposée, devenez entreprise ou destination d’expérimentation du « parcours collaborateur ». N’hésitez pas à me contacter sur le sujet, pour des expérimentations à mener en 2023.