Les 11èmes Francophonies de l’Innovation Touristique (FIT2024) ont réuni la semaine dernière un collectif d’une vingtaine d’expert(e)s venu(e)s de Belgique, de France, du Québec et de Suisse. Un collectif réuni par l’Agence d’attractivité Aube-en-Champagne et le Slow Tourisme Lab dans un cadre unique à quelques kilomètres de Troyes, le Château de Vaux, un magnifique château du XVIIIème siècle inséré dans un écrin de verdure de plus 400 ha, à proximité du Parc naturel régional de la Forêt d’Orient. Ce collectif se réunit chaque année depuis plus de dix ans dans un territoire francophone pour travailler pendant quelques jours, réfléchir, confronter, proposer et apporter des solutions concrètes à une destination. Les dernières éditions ont eu lieu en Suisse (2017), à La Réunion (2018), à Montréal (2019), à Nice (2022) et au Village historique de Val-Jalbert (2023). La force de ce collectif réside dans la diversité des parcours, des opinions, des cultures mais aussi dans la capacité à faire œuvre de compromis et de propositions constructives.
Les conditions du « voyage agriculturel »
L’édition des FIT2024 n’y a pas manqué. Le thème proposé était « Le voyage agriculturel ». Parce que la ruralité est la destination touristique du futur ! Parce qu’il convient de changer le regard et les rapports entre ruralité et urbanité. Parce que les cultures du monde rural peuvent apporter des réponses souvent oubliées ou ignorées aux crises que nous connaissons. Quatre thèmes ont permis de structurer les échanges et les travaux durant deux jours d’ateliers au cours desquels le collectif francophone a décortiqué la question du « voyage agriculturel », parfois vécu comme un mystère sémantique. Le concept du voyage agriculturel, fil rouge des discussions, a été questionné (est-il tourisme rural, slow tourisme ?) et rapproché de la notion de « vagabonde liberté ». Le collectif a posé à la fois diagnostics et préconisations autour de quatre thématiques qui ont rapidement émergé et ont permis d’identifier les conditions de ce voyage agriculturel en posant quelques questions :
- Comment aider à changer les imaginaires de la ruralité (notamment ceux des habitants et des décideurs) ?
- Comment faire évoluer le modèle du tourisme rural (qui profiterait à l’économie locale, aux habitants, à la nature) ?
- Comment développer une mobilité partagée (et la faire cheminer vers une cause d’intérêt territorial) ?
- Comment faire bouger les lignes en adoptant une méthode autour de trois cibles (la communauté, les porteurs de projets et les institutionnels) et 7 étapes ?
Le Slow Economic Forum (SEF) pour impliquer l’ensemble des acteurs de la chaine de valeur
Une dernière journée qui a inauguré le premier « Slow Economic Forum » (SEF2024) dont le thème était « Prendre le temps du voyage ». Le SEF a réuni une trentaine d’acteurs du tourisme venus du département de l’Aube ou de la Région Grand-Est partager avec le collectif francophone les résultats des FIT2024, les questionner et les mettre notamment dans une perspective d’actions proposées aux territoires touristiques.
Le SEF2024 comme une antithèse au World Economic Forum. Pas d’hélicoptère ni d’avion d’affaires dans les parages, des mobilités douces encouragées et la proximité comme un firmament !
Ce fut l’occasion également d’accueillir quatre grands témoins invités pour challenger les propositions qui seront bientôt réunies dans un guide méthodologique ou boite à outils à destination des acteurs du tourisme rural (merci à Norbert Crozier, Vanguelis Panayotis, Frédérique Rousseau et Laurent Mazurier).
Un plan d’actions à développer selon les territoires et destinations
Les travaux des FIT 2024, complétés par les échanges lors du SEF2024, proposent ainsi aux territoires ruraux quatre actions différentes, en les adaptant au cas par cas.
- Les imaginaires : réinventer les récits du tourisme rural
Il ne s’agit pas de créer de nouveaux imaginaires, mais d’inscrire le slow tourisme dans les récits existants. Les discussions ont mis en avant l’idée de « cultiver l’inattendu », en intégrant des éléments surprenants dans l’expérience touristique. Les habitants, eux aussi, sont appelés à jouer un rôle central dans cette démarche. L’idée d’éditorialiser les récits des habitants permet de créer une offre touristique centrée sur l’humain et de renforcer le lien social. L’un des points cruciaux abordés a été la nécessité de changer les imaginaires des décideurs. En introduisant des indicateurs de durabilité, les experts encouragent les politiques publiques à favoriser des projets qui profitent à la fois aux habitants, aux entreprises locales et aux visiteurs, tout en respectant les ressources naturelles.
- Modèle de tourisme rural : optimiser et régénérer les ressources
Trois piliers structurent le modèle de développement touristique rural : l’optimisation des ressources humaines (chaque habitant doit être considéré comme une ressource précieuse, il conviendrait de créer une communauté d’accueillants), la régénération des ressources matérielles (le tourisme doit encourager une hybridation des usages en élargissant l’utilisation des infrastructures publiques et privées, en développant des hébergements légers et éphémères, etc.) et la revalorisation des ressources immatérielles (en mettant en avant l’artisanat et les savoir-faire locaux).
- Mobilité partagée : repenser l’accès aux zones rurales
La mobilité est la grande ignorée du tourisme. Et pourtant, il n’existe pas de tourisme sans mobilité. L’une des questions centrales est de transformer les déplacements en expériences touristiques à part entière. Plusieurs pistes ont été évoquées, comme la création de coopératives de mobilité regroupant covoiturage et autopartage, ou encore des lignes de bus spécifiques. Une proposition réside dans le réenchantement de l’offre de mobilité (par exemple des expériences thématiques autour des trajets en train). Une autre est l’enjeu des derniers kilomètres.
- Méthode d’accompagnement : sept étapes pour un tourisme rural durable
Il est nécessaire d’adopter une méthode d’accompagnement en sept étapes, allant de l’écoute des besoins du territoire à l’identification des projets porteurs de développement touristique, en passant par le travail sur l’acceptabilité sociale des initiatives proposées. La solidarité locale est un levier essentiel dans ce processus, car elle garantit que les projets sont bien accueillis par les habitants et qu’ils contribuent au bien-être général du territoire. L’un des indicateurs originaux proposés est le bonheur intérieur brut des habitants. Cette méthode propose d’inscrire le développement touristique dans une démarche collective, où chaque partie prenante participe activement à l’avenir de son territoire.
AU FINAL…
Au final, les FIT2024 et le SEF2024, ont été trois jours pour échanger, réfléchir, imaginer et proposer aux territoires ruraux des pistes pour préparer les conditions d’un tourisme agriculturel soutenable et vivable.
Trois jours de relation humaine, d’amitié et de communion, comme autant de nouvelles promesses de l’Aube et de renouveau du tourisme rural ! Parce que la ruralité est l’avenir du tourisme, à la fois en matière de nature, de cultures, mais aussi d’humanité et de solidarité !
Liste des expert(e)s réuni(e)s, dont de nombreux auteurs / autrices du blog :
Patricia Almeida, Paul Arseneault, Jean-Luc Boulin, Pierre Bellerose, François Chevrier, Grégory Davaillaud, Giulia David, Laurence Docquir, Brice Duthion, Paul Fabing, Vincent Garnier, Nadine Gelly, Denis Genevois, Frédéric Gonzalo, Grégory Guzzo, Nicolas Monquaut, Anne-Catherine Ostertag, Marc Richet, Christelle Taillardat et Benoit Vuignier
Facilitation graphique des FIT2024 : Giulia David
Article publié en parallèle de celui rédigé par Pierre Bellerose sur le blog québécois Tourismexpress
