Zone blanche : le marketing de la déconnection

Publié le 2 mars 2020
6 min

On aurait presque tendance à les oublier : les zones blanches… Celles où le vacancier (et aussi l’habitant) se démettent l’épaule, bras exagérément tendu à la recherche de deux ou trois barrettes qui permettraient la connection. Des endroits ou le edge est une bonne surprise, la 3G le graal et la 4G l’inaccessible… Une zone blanche, c’est officiellement une zone sans réseau, une zone de déconnection.

Un trou dans l’offre touristique

Un territoire en zone blanche, c’est un territoire qui ne bénéficie d’aucun service de communication électronique. Il y a deux sortes de zone blanche:

  • La zone blanche ADSL (0,3% du territoire) où il n’y a même pas l’ADSL.
  • La zone blanche de téléphonie mobile, où aucun réseau de téléphonie mobile n’est disponible. Au 1er janvier 2019, la couverture 4G en France métropolitaine était de 99%. Le 1% restant est en zone blanche.
    Cela ne veut pas dire que les 99% restant sont couverts par les quatre principaux opérateurs. Il n’y a souvent qu’un ou deux qui passe en 4G.

Depuis 4 ans, les frais de roaming ont disparu pour les clientèles européennes, le prix des forfaits a baissé, et donc la clientèle touristique se connecte facilement en 4G.

Le wifi comme service complémentaire est donc bien sur apprécié, mais l’accès à la 4G reste malgré tout un préalable essentiel pour nombre d’équipements touristiques.

Cela devrait être résolu assez rapidement, de deux façons. Coté zone blanche ADSL, de nombreuses collectivités territoriales ont lancé des plans fibres, comme outil d’aménagement du territoire.

Coté zone blanche téléphonique, le gouvernement a annoncé en octobre dernier l’engagement des principaux opérateurs téléphoniques à installer dans les 12 à 24 mois des pylônes dans 1 171 zones blanches qui ont fait l’objet d’arrêtés ministériels.

Ainsi, dans les toutes prochaines années, les déficits de connexion dans les zones touristiques devraient constituer un nostalgique souvenir pour tous les accros au smartphone. Les plans « wifi territorial » devraient être moins prioritaires…

Alors bonne nouvelle ? Et si cette couverture totale intervenait au moment où la déconnexion devient un mode de vacances ? Si la zone blanche devenait un argument marketing ?

Les déconnectés sont anxieux

De plus en plus de scientifiques s’intéressent au phénomène de la déconnexion. Ainsi, la très sérieuse revue Journal of Travel Research a publié en août dernier une étude intitulée : « Turning It Off: Emotions in Digital-Free Travel« .

Comme le résume cet article du blog Nutrition Santé, l’étude a impliqué 24 participants de 7 pays différents, qui ont voyagé dans 17 régions et pays au cours de l’étude, en éliminant tour moyen de connexion durant leur séjour.

Les résultats montrent qu’il y avait des symptômes initiaux d’inquiétude, de frustration et de sevrage chez de nombreux voyageurs. Ceux qui fréquentaient des destinations urbaines avaient clairement des manques en terme d’information, de navigation. Les autres, qui circulaient dans des zones plus rurales ressentaient l’ennui et l’isolement par rapport aux réseaux sociaux.

Les voyageurs solos ont été plus atteints par le manque de connexion que les voyageurs en couple.

Cependant, l’acceptation, le plaisir et même une certaine libération sont progressivement apparus pour la majorité des participants à l’étude.

 

Photo de Vegan Liftz provenant de Pexels

Une nouvelle demande sociale, le JOMO

Une autre étude, commanditée par Suisse Tourisme auprès de l’institut d’études d’opinion Sotomo a permis d’interroger 5 340 personnes en Suisse, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas sur la signification de la nature et des activités en pleine nature dans leur vie quotidienne.
Comme l’indique Suisse Tourisme, « L’étude montre que la nature est un lieu d’évasion et de régénération, un refuge. Cependant, elle pointe aussi clairement que peu de gens souhaitent un retour à une nature sauvage et indomptée. La randonnée pédestre en pleine nature, en particulier, est considérée comme une activité permettant de contre-balancer la pression exercée par une société toujours plus compétitive et digitalisée. Pourtant, force est de constater que les personnes interrogées ne s’échappent pas réellement de leur quotidien numérique. Selon la plupart d’entre elles, en cas d’urgence, pour s’orienter ou simplement pour partager de belles photos de leur environnement avec leur entourage, le smartphone est devenu le compagnon indispensable lors de toute escapade en pleine nature.

Ce serait simplement pour un tiers des personnes interrogées que le FOMO (Fear of Missing Out, la peur de rater quelque chose en étant déconnecté) serait remplacé par le JOMO (Joy of Missing Out, le plaisir d’échapper à la pression numérique). Les auteurs de l’étude expliquent que « le fait de toujours rester joignable est un facteur de stress majeur au quotidien. Un tiers des personnes interrogées expriment le désir occasionnel de ne pas être joignables. Nombre d’entre elles éteignent leur téléphone portable en randonnée, voire ne l’emmènent pas. De plus, une grande partie des personnes interrogées considèrent l’absence prolongée de signal téléphonique lors d’une randonnée comme positive.
Au lieu d’avoir peur de manquer quelque chose (Fear of Missing Out), il semblerait que c’est la joie de manquer quelque chose qui prévale ici (Joy of Missing Out).
Se rendre dans la nature constitue une forme de désintoxication numérique.
« 

La déconnexion, un pari marketing gagnant ?

On observait ces dernières années de nombreuses initiatives autour du digital detox, mais cela restait quand même anecdotique, permettant d’illustrer des sujets sur les dégâts du numérique. On associait jusqu’à présent digital detox et thérapies diverses et variées. Or, il semble que le marché commence réellement à murir.

J’en prendrais un seul exemple, celui de l’agence (française comme son nom l’indique) Out of Reach. A la fois agence de voyage et guide pour séjour déconnecté, Out of Reach est allé plus loin en labellisant hébergements, territoires et séjours en fonction du niveau de déconnexion dont bénéficie le visiteur.

Il y a 3 niveaux de déconnexion dans cette labellisation : 

  • Niveau 1 : cadre et activités déconnectants
  • Niveau 2 : cadre et activités déconnectants + pas d’écran, pas de wifi
  • Niveau 3 : cadre et activités déconnectants + pas d’écran, pas de wifi + pas de réseau

Avec un ton volontiers déconneur, qui n’est pas sans rappeler l’excellent marketing de chilowe.com, Out of Reach a développé un vrai concept autour de la déconnexion, allant jusqu’à mettre en place un « comité indépendant de professionnels du tourisme, du bien-être, et de scientifiques » pour décerner le label.

Le site internet d’Out of Reach change en cela des propositions classiques de yoga/sophro/jeune total/déconnexion…

Il est plutôt gai, voire enjoué, et n’hésite pas à associer luxe et déconnexion, et à proposer des lieux étonnants. Allez visiter les pages du Fort du Houat (où le signal des portables s’explose littéralement contre les murs épais du fort...) ou de la Tiny House des bords de Loire (accessible en vélo) pour vous convaincre de la modernité des offres…

Les destinations peu présentes dans la déconnection

Si les offres déconnectées sont de plus en plus nombreuses sur les plateformes comme Out of Reach, Relax Oceane ou Into The Tribe, cela concerne surtout des établissements de séjour (chambres d’hôtes, gîtes, hôtels, etc.).

On ne trouve pas quasiment pas de propositions d’OGD qui annonce une destination déconnectée, ou simplement font la proposition de laisser tomber écrans et wifi le temps d’un séjour.

Je suis donc preneur d’exemples de territoires touristiques qui ont mis en avant la possibilité de vacances déconnectées, juste pour me prouver que je me trompe !

Ajout du 03 mars 2020.
Sébastien, de l’office de tourisme de Charleville/Sedan en Ardennes m’informe de l’initiative prise par son OT : une proposition de séjour « sans smartphone » dans un environnement scandinave. Il faut même laisser son compagnon numérique dans un coffre-fort à l’arrivée ! Merci pour l’info qui montre que les destinations aussi s’investissent dans la déconnection.

Merci à Kenza Mansouri, étudiante en Master 1 AGEST à l’Université Bordeaux Montaigne qui a réalisé sa note de veille sur « les zones blanches en vacances« , ce qui a inspiré cet article. #plaisirdetreprof

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Jean Luc Boulin est consultant en tourisme : Intervention auprès des élus et des prestataires touristiques, coaching, accompagnement des équipes et des directions sont ses principaux champs d'intervention. Avec deux exigences : se mettre à la place du client et oser l'innovation. Directeur de l’office de tourisme de l’Entre-deux-Mers (Gironde) et du pays d’accueil touristique du même nom pendant plus de dix ans, Jean Luc Boulin a dirigé la MONA [...]
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